De l’ouverture du capital à l’ouverture de la gouvernance, les fonds d’investissement seraient-ils les meilleurs promoteurs de la fonction d’administrateur indépendant ?

Interview de Bertrand Rambaud, président de France Invest, réalisée par APIA Méditerranée, avec la collaboration de Cécile Serrus, entrepreneure, et d’Olivier Gillot, consultant en private equity et membres APIA

Représentant la majorité des sociétés de gestion actives du pays, France Invest a des objectifs ambitieux en vue de l’intégration d’administrateurs indépendants d’ici 2030.

Les conditions de l’ouverture de la gouvernance à des administrateurs indépendants dépendent des investissements. Les modifications structurelles d’une entreprise, dont l’ouverture du capital, exigent souvent l’intervention d’administrateurs indépendants pour apporter des compétences spécifiques. Reste à accorder l’indépendance de ce dernier avec les attentes du fonds. Les fonds expriment une volonté d’équilibre dans les gouvernances entre les intérêts des parties prenantes.

Moins impliqués dans les ajustements liés à l’investissement que dans le plan de développement convenu entre les actionnaires et le fonds, les administrateurs indépendants ont vocation à se concentrer sur les enjeux de transformation et de croissance, et l’alignement des intérêts entre l’actionnariat et les investisseurs financiers.

En cas de divergence, l’attente des fonds est audible : l’administrateur indépendant doit rester neutre, dans une position impartiale consistant à faciliter les échanges et contribuer à la création de valeur. En définitive, l’ouverture de la gouvernance à un administrateur indépendant n’a d’intérêt pour le fonds que si elle conduit à la réduction des risques.

  1. À quel moment recrute-t-on un administrateur indépendant dans la vie d’une entreprise qui ouvre son capital ?

Bertrand Rambaud : Ouvrir sa gouvernance à un administrateur indépendant n’a rien de systématique et je ferai la différence entre les opérations dans lesquelles les fonds ont des positions minoritaires ou majoritaires au capital des entreprises que nous accompagnons. Dans les premières, et dans le marché que nous adressons, le recours à des administrateurs indépendants demeure limité. Des administrateurs indépendants peuvent être nommés au cours de la vie de notre investissement et une compétence sectorielle, industrielle… sera le plus souvent recherchée. Dans le second cas, le recours à des administrateurs indépendants est plus systématique. Il se fait en général juste après l’investissement, généralement dans la période des 100 jours qui suit la prise de participation au cours de laquelle la gouvernance est mise en place.

Olivier Gillot : Lorsque le fonds et le dirigeant se sont mis d’accord dans le pacte d’actionnaire du recrutement d’un administrateur indépendant, le recrutement est effectué après l’ouverture du capital parce qu’au moment du closing de l’opération il y a d’autres priorités que de choisir l’administrateur indépendant. Bien que le plus tôt soit le mieux, en pratique, il faut la conjonction de la volonté du dirigeant, de l’accord du fonds et la disponibilité des deux pour entamer et mener le process de recrutement jusqu’à son terme. Chez APIA, le process de sélection structuré parmi nos 280 membres prend 3 mois environ.

Cécile Deleuze Serrus : Pour la PME Optimétrie que j’ai fondée et dirigée, à l’occasion de l’entrée au capital d’un fonds d’investissement pour accompagner un projet de croissance externe, nous avons construit une nouvelle gouvernance. Dans les Statuts, étaient prévus un Président et un Conseil de Surveillance. Pour les investisseurs, comme pour nous-mêmes, fondateurs, il est apparu souhaitable de faire participer des administrateurs indépendants à nos réflexions stratégiques au sein de ce conseil. Le choix de ces AI s’est fait en concertation sur notre proposition, en recherchant une diversité/complémentarité des profils.

  • Quels sont les évènements particuliers de la vie d’une entreprise (transmission familiale ou croissance externe) qui incitent à la désignation d’un administrateur indépendant ?

BR : Les évolutions structurantes d’une entreprise nécessitent souvent le recours à un administrateur indépendant. Je pense aux transmissions, aux croissances externes, aux besoins d’appuyer ou modifier une stratégie, aux enjeux ESG…. Ces administrateurs indépendants viennent appuyer les représentants des fonds qui sont également au conseil et les dirigeants, mais en apportant un regard différent avec des compétences et des expériences spécifiques.

OG : Par anticipation de modifications structurantes de l’entreprise ou de l’actionnariat, le dirigeant décide d’enrichir son conseil d’un administrateur indépendant qui aura comme boussole l’intérêt social avant tout intérêt partisan représentant une partie de l’actionnariat. C’est souvent une orientation nouvelle du plan de développement, comme un changement d’échelle ou le développement à l’international, qui motivent la décision de désignation d’un administrateur indépendant : APIA est notamment contacté par des sociétés deeptech dont les jeunes entrepreneurs envisagent favorablement l’apport d’un administrateur indépendant dans leur scale-up.

CDS : Ce sont effectivement aux moments des modifications structurantes de la vie d’une entreprise que se posent les questions de gouvernance. J’ajouterai que les conseils juridiques qu’apportent le cabinet d’avocat de l’entreprise sont tout à fait précieux pour organiser le travail commun au sein du Conseil d’Administration ou de Surveillance, entre les différents administrateurs et échanger sur sa composition et faire valoir l’intérêt d’un ou plusieurs administrateurs indépendants.

  • Au recrutement, quels seraient les attendus d’un fonds en matière de savoir-faire, savoir être, et d’expérience, d’un administrateur indépendant qui intègre le CA d’une entreprise ayant ouvert son capital ?

BR : Il n’y a pas de profil type. Mais je retiendrai une dimension complémentaire par rapport à celle des dirigeants et des représentants des fonds. Et, en conséquence, nous privilégions une expérience très opérationnelle par rapport à une dimension financière, une culture de l’international, des process, parfois issus d’entreprises de taille plus importante pour apporter un autre regard. La démarche s’assimile à un recrutement et inclut par conséquence la dimension humaine, le sens du collectif, de l’écoute, le respect de l’actionnariat familial, la compréhension des enjeux propres aux fonds d’investissement. L’administrateur indépendant est par définition indépendant mais il ne peut pas s’extraire du contexte actionnarial dans lequel son mandat s’inscrit. Nous souhaitons également aller vers un meilleur équilibre de parité dans nos gouvernances.

OG : Une véritable indépendance vis-à-vis du dirigeant et du fonds est au cœur des débats entre le dirigeant et le fonds. L’expertise métier n’est pas jugée essentielle par APIA mais elle est souvent recherchée par le dirigeant, je pense à une participation dans le secteur des diagnostics énergétiques où l’expertise d’un administrateur indépendant venant d’une franchise leader de la transaction immobilière est précieuse.

Il est essentiel que l’administrateur indépendant ait une expérience passée de mandataire social et une formation au métier d’administrateur. Les 280 membres d’APIA sont recrutés selon ces critères et suivent une formation continue aux défis sans cesse renouvelés du monde économique.

  • Comment diffèrent ces attentes entre une petite et une grande entreprise, en matière de gouvernance ouverte ?

BR : Dans une petite entreprise, il y aura souvent un administrateur indépendant aux compétences assez larges et ouvertes. Dans une grande entreprise, la compétence plus spécifique pourra être plus recherchée et plusieurs administrateurs indépendants siègent parfois au même conseil.

CDS : Chez Optimétrie, les attentes concernant les administrateurs indépendants étaient de différentes natures à l’aune de leurs diverses expériences respectives.

  • Questionner les autres membres du Conseil sur des sujets sensibles : problématiques de succession, d’actionnariat, de croissance.
  • Obtenir une analyse et un retour parfaitement objectifs et sincères sur l’évolution de notre société et de sa stratégie.

OG : Dans les PME, le fonds est souvent le premier actionnaire qui ne fasse pas partie de la famille du dirigeant. La solitude du dirigeant est donc rompue par le représentant du fonds qui devient un interlocuteur incontournable, certes orienté finances, mais dont le point de vue est enrichi par son expérience dans d’autres participations. Dans ce contexte le dirigeant ne voit pas nécessairement l’intérêt d’ajouter un autre membre à son conseil. Et il existe d’autres freins à l’embauche d’un administrateur indépendant identifiés par une enquête menée cette année auprès des fonds de la région Sud (regroupés dans l’association Ambition Capital) : la valeur ajoutée d’un administrateur indépendant dans un conseil de PME n’est pas bien perçue par le dirigeant, et les fonds ont des priorités, comme la comptabilité verte ou le partage de la valeur. Et pourtant la contribution additionnelle d’un administrateur indépendant est forte sur ces sujets-là.

Dans les ETI en revanche, les enjeux de développement laissent la place à une réflexion stratégique structurée, où l’apport complémentaire du ou des administrateurs indépendants est mieux perçu.

  • Comment l’administrateur indépendant peut-il accorder les échéances, voire aligner les horizons de temps, entre les attentes du fonds d’investissement et celles de l’entreprise où il intervient et, plus largement, faciliter la relation entre les parties prenantes ?

BR : Quand un fonds prend une participation dans une entreprise, il aura, lors de la transaction, aligné l’horizon de temps de son investissement par rapport au plan de croissance de l’entreprise. Les fonds et entrepreneurs pourrons ajuster ensuite cet horizon de temps en fonction d’éléments exogènes ou endogènes. Il n’est donc pas demandé aux administrateurs indépendants d’intervenir sur ces enjeux de temporalité mais de s’inscrire dans le plan de développement qui aura été arrêté entre les actionnaires et le fonds. L’administrateur indépendant a une indépendance propre à sa position, et il peut avoir, lors de décisions difficiles, des visions différentes entre les parties, faciliter les échanges. Mais ce n’est pas son rôle essentiel : il doit avant tout se concentrer sur les enjeux de croissance ou de transformation de l’entreprise.

CDS : Il ne s’agit pas tant d’aligner les temporalités entre investisseurs et entrepreneurs que de faciliter la prise en compte des impératifs respectifs, qui peuvent parfois être divergents. L’administrateur indépendant peut faciliter le compromis et le consensus autour des différentes étapes capitalistiques mais aussi inciter à la formalisation des plans stratégiques et de succession.

OG : L’horizon de temps du fonds est à 5 ans, celui du dirigeant sa retraite., l’horizon de temps de l’administrateur indépendant s’aligne sur la vision du développement de l’entreprise. Dans les débats, l’administrateur indépendant profite de sa liberté de parole pour montrer comment ces différences d’horizon peuvent influencer voire fausser les points de vue. L’exemple type est celui d’un investissement lourd, que le fonds voudrait repousser après sa sortie pour ne pas alourdir l’endettement et donc minorer sa valeur de sortie.

  • Comment placer le curseur entre son obligation d’indépendance, l’intérêt du fonds, et les intérêts des autres parties prenantes ?

BR : Dans la plupart des cas, heureusement, les intérêts sont parfaitement alignés entre l’actionnaire familial et les investisseurs financiers. En cas de divergence de vue, ce n’est en général pas le rôle de l’administrateur indépendant de prendre position pour l’une des parties, sauf demande expresse des actionnaires. L’administrateur indépendant doit rester neutre, cela est sa mission.

OG : L’administrateur indépendant n’a comme seule ambition que de servir l’intérêt social. Ses avis et décisions ne doivent donc pas défendre les intérêts de tel ou tel actionnaire mais le développement de l’entreprise. Il est donc essentiel de définir dans le pacte d’actionnaires les décisions structurantes pour lesquelles l’avis ou le vote des administrateurs sont requis afin de préciser le rôle et le poids de l’administrateur indépendant dans la gouvernance.

  • En quoi l’administrateur indépendant peut-il réduire les risques pris par le fonds ?

CDS : Je ne formulerai pas les choses ainsi. L’administrateur indépendant s’appuie sur l’analyse des risques, au travers d’une cartographie dont il peut être le demandeur, afin de permettre une plus forte création de valeur pour l’entreprise en se servant de son objectivité, de son expérience, pour amener des décisions convergentes au sein du Conseil. Il participe à la réflexion collective, avec les autres administrateurs, en vue de la réduction de ces risques. Dans l’analyse des risques, l’administrateur indépendant est un interlocuteur précieux pour rendre cette cartographie exhaustive et objective.

BR : Tout ce qui contribue à l’intelligence collective au sein du fonctionnement d’une entreprise est facteur de réduction des risques. Challenger des orientations, proposer un autre regard ou un autre angle dans des débats structurants, partager une expérience sont autant d’enjeux de gouvernance importants pour l’entreprise comme pour ses partenaires financiers où le regard d’un administrateur indépendant peut jouer un rôle important.

OG : Les risques du fonds sont d’abord celui de l’entreprise, répertoriés dans la leur cartographie et à laquelle le Conseil se réfère, à savoir le risque environnemental, la concentration des clients, le risque géographique, l’importance de l’endettement, etc.

Au travers des relations directes et personnelles qu’il développe avec le dirigeant, l’administrateur indépendant peut détecter des signaux dits « faibles », précurseurs d’une détérioration de la qualité de sa relation avec le fonds ou de la qualité de sa gestion. Dans une de mes participations, un administrateur indépendant d’APIA avait alerté le conseil sur des signaux traduisant le déni de réalité du dirigeant face à un retournement de ses marchés, ce qui avait conduit au renforcement de la direction générale de l’entreprise.

  • Quel processus pourrait suivre France Invest pour aboutir des actions concrètes et des partenariats, en vue de la promotion de la gouvernance ouverte ?

BR : Association très engagée en matière d’ESG, France Invest a déjà beaucoup travaillé et mobilisé sa communauté sur les sujets de gouvernance. Nous avons même des engagements et nous suivons des indicateurs chaque année, et notamment sur l’item des administrateurs indépendants. En effet, dans le cadre de nos ambitions pour une gouvernance engagée, nous avons l’objectif, d’ici à 2030, que 90 % des entreprises accompagnées par nos adhérents comptent au moins un administrateur indépendant dans leurs instances de gouvernance. Nous en étions à 54 % fin 2022.

  • Pourrait-on envisager la constitution d’une base de ressources en ligne, disponible notamment sur le site de France Invest, qui assisterait les gestionnaires de fonds dans leur réflexion sur la gouvernance ouverte et le recrutement d’administrateur indépendant ?

BR : France Invest regroupe la quasi-totalité des sociétés de gestion actives en France (420 à date). Nous communiquons beaucoup avec nos adhérents et nous sommes probablement un des meilleurs points d’entrée pour relayer auprès d’eux des contenus à valeur ajoutée. Nous les réunissons souvent et, dans ce cadre, nous invitons régulièrement des tiers à venir s’exprimer et partager un thème d’actualité.

  1. Dans le cadre d’un éventuel partenariat avec des associations tierces, notamment spécialisées dans les questions de gouvernance, comment France Invest serait-elle prête à encourager le recrutement d’administrateur indépendant par des entreprises ayant ouvert leur capital à des fonds ? Comment lesdites associations partenaires pourraient-elles s’appuyer sur France Invest dans l’accompagnement à la recherche et la sélection d’administrateurs indépendants par les fonds ?

BR : Nos ambitions sont affirmées : passer de 54 % à 90 % d’entreprises accompagnées par nos adhérents qui ont fait appel à un ou plusieurs administrateurs indépendants. Notre communauté est sensibilisée et convaincue des vertus de cette pratique de gouvernance. Un renfort d’outils pratiques, guides, témoignages, invitations, présentation de profils sectoriels seraient certainement utiles. Le métier des fonds d’investissement évolue vers un accompagnement opérationnel renforcé, avec des compétences sectorielles de plus en plus pointues. Les administrateurs indépendants avec lesquels nous souhaitons travailler doivent s’inscrire également dans cette évolution.

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