La face cachée de l’administrateur indépendant : ou comment tirer tous les enseignements d’un échec pour rebondir positivement

APIA Est - 4 mars 2024

Introduction

Il n’existe aucune raison de penser que l’administrateur indépendant soit un surhomme. Donc, il doit commettre, de temps à autre, comme chacun, comme vous aussi, chef d’entreprise, des erreurs, dont pourtant nul ne parle, dont il n’est même pas politiquement correct de parler. Et pourtant ! L’objet de ces lignes, en évoquant quelques types d’échecs rencontrés par les administrateurs indépendants est de montrer combien on peut retirer d’enseignements positifs de ces expériences et, comment nous pouvons devenir meilleurs dans l’exercice de nos mandats, puisqu’il est avéré que nous apprenons plus de nos échecs que de nos succès. C’est même certainement en raison de notre forte expérience en termes de gouvernance que nous pouvons, chez APIA, d’une part identifier très tôt les risques d’erreurs d’appréciation, d’autre part en minimiser l’apparition et enfin en réduire les effets s’ils surviennent. Une leçon de modestie, un tribut payé à l’expérience, et finalement, une raison supplémentaire de faire confiance à APIA pour le choix d’un administrateur indépendant !.

Echec par … absence d’administrateur indépendant

Nous connaissons tous des entreprises, PME patrimoniales, start-ups, qui ne possèdent pas de conseil d’administration, ou de comité stratégique. Parfois, le Conseil existe formellement, il se tient physiquement, et joue le rôle chambre d’enregistrement, ou n’existe, dans sa forme la plus épurée, que sur le papier. Il nous arrive de connaître le dirigeant de l’entreprise. Et malgré tous nos efforts, nous n’avons pas réussi à le convaincre de l’intérêt que représenterait pour lui la présence à ses côtés d’un ou de plusieurs administrateurs indépendants.

Reconnaissons-le, nous pourrions parler d’échec. Manque de force de conviction ou absence d’arguments et de questionnements percutants de notre part, voire chez le dirigeant doute voilé et non levé quant à l’utilité de la fonction. Il invoquera de son côté le manque de temps, l’existence en interne de tous les ingrédients nécessaires à la prise de décision, le caractère spécifique de son entreprise, voire la confidentialité de ses opérations. Il protègera peut-être aussi sa liberté incontestée de décision, sa procrastination, voire le risque d’être remis en cause. Autant d’objections que nous connaissons bien, de notre côté, et qui nous apparaissent peu recevables, mais que nous aurons dans ce cas peiné à lever, ou que nous n’aurons pas contrées avec suffisamment de vigueur.

L’échec … par absence prendra toute sa dimension si l’entreprise se trouve en difficulté, conséquence d’une décision stratégique du dirigeant peu inspirée, de la non-identification d’un risque potentiel majeur qui se révèle, de failles dans les processus, dans le suivi etc. Et nous regretterons alors probablement de n’avoir pas suffisamment insisté. Les PME où il n’existe pas d’administrateur indépendant sont encore majoritaires en France, et c’est un des objectifs d’APIA de travailler à réduire leur nombre, précisément pour éviter ce genre de situation.

Pour ce premier cas de figure, retenons ici notre difficulté à toujours partager avec succès notre conviction intime de l’intérêt de l’administrateur indépendant au conseil des PME. Et le fait que nos compétences pourraient être plus largement utilisées qu’elles ne le sont. Défaut d’évangélisation, défaut de prospection, défaut de transformation. Défauts que nous pouvons corriger au quotidien, en parlant plus autour de nous de la fonction d’administrateur indépendant, de manière (encore) plus passionnée et convaincante, auprès de plus de personnes concernées, chefs d’entreprise et futurs administrateurs. Cette note, par son approche décalée, transparente et responsable, souhaite y contribuer.  

Echecs techniques. On en retiendra trois types. Le travail de l’administrateur (indépendant ou non) consiste à challenger le dirigeant, en lui posant des questions sur un projet ou sur son action, en ne mettant bien évidemment pas a priori ses compétences en doute, sans se substituer à lui dans l’opérationnel, ni lui dicter un comportement (où les questions de l’administrateur contiendraient alors déjà les réponses attendues). A ce titre, on relève les biais suivants :

Défaut de compétences. On traitera rapidement, puisque tombant sous le sens, des cas où le conseil ne réunit pas les compétences minimales nécessaires à sa tâche. Cela peut parfois être le cas dans les PME patrimoniales qui remontent à plusieurs générations, où les différentes branches de la famille délèguent des représentants pas nécessairement familiers des métiers de l’entreprise, des enjeux, des modes de fonctionnement du conseil. La réponse est ici simple : intégrez à votre conseil un administrateur (indépendant) choisi précisément pour les compétences dont vous avez besoin dans votre conseil. APIA peut vous accompagner dans la définition de la « fiche de compétences ». Et l’administrateur pourra ensuite très certainement professionnaliser la démarche du conseil, en faisant œuvre de pédagogie auprès de ses collègues « Oncle Albert et Tante Berthe », et les amener progressivement à reconsidérer la fonction du conseil et le rôle qu’ils peuvent y jouer. Avec un effet démultiplicateur positif.

Quantité, qualité et constance dans les questions posées. Elles peuvent influer significativement sur la teneur des débats, le traitement du sujet, et donc ses chances de succès ou risques d’échec. Nous sommes particulièrement sensibilisés à ces aspects chez APIA :

  • Poser trop de questions peut amener à se fourvoyer dans les détails, souvent opérationnels, à perdre la dimension stratégique, et amener à procrastiner parce qu’on n’a pas reçu les réponses à ses questions et qu’on imagine alors ne pouvoir se décider en connaissance de cause.
  • A l’inverse, ne pas poser assez de questions amène souvent à négliger des aspects importants, et donc à « oublier » des bonnes questions. Un exercice intéressant mené récemment au cours d’une autoformation APIA a montré que malgré la présence d’une douzaine d’administrateurs indépendants chevronnés, d’horizons, de compétences et de métiers très divers, des aspects encore significatifs du problème posé étaient demeurés dans l’ombre. C’est exactement ce genre d’exercice, auquel nous nous soumettons souvent chez APIA, qui permet d’éliminer progressivement les zones d’ombre.
  • Défaut de systématique. Une approche « dilettante » de la fonction d’administrateur peut aussi nuire à son efficacité : la nature des questions à poser est souvent très comparable d’un sujet à un autre. L’administrateur indépendant apprend de son côté à se constituer progressivement un cadre d’évaluation d’un projet, qui couvrira des aspects stratégiques, financiers, commerciaux, économiques, RH, RSE, juridiques, d’analyse du risque, d’envie du dirigeant et de son équipe de direction, etc. La constance dans les questions posées lui permet même de pouvoir évaluer des projets l’un par rapport à l’autre. Enfin, cette même constance est appliquée dans la vie du projet, qui, une fois lancé, est suivi régulièrement, et peut-être arrêté ou réorienté à temps grâce aux questions récurrentes de l’administrateur indépendant.

Echec par monoculture du conseil.

  • Le choix d’un administrateur indépendant s’appuie en général sur des compétences techniques dans un domaine que l’entreprise recherche (nouveau métier, développement d’une activité (service, export vers une zone donnée…), et/ou sur la concentration sur une fonction à dynamiser (e-commerce, logistique…)), et/ou sur une adéquation avec la culture d’entreprise, et enfin sur une similitude des profils des administrateurs entre eux, entre administrateurs et dirigeants, etc.
  • Ce dernier point peut se justifier par un désir d’efficacité et de de confort au quotidien, des profils comparables comprennent plus vite et à demi-mot une situation, et auront moins d’objections. Mais c’est ce dernier point qui est justement problématique : le conseil est précisément le lieu où toutes les questions et objections, et a priori aussi les plus saugrenues, doivent pourvoir s’exprimer en toute liberté.
  • Le phénomène peut prendre les formes les plus diverses : méfiance d’un dirigeant autodidacte contre des diplômés (de grandes écoles, en France), cooptation entre diplômés de ces écoles, voire vieil antagonisme entre formations techniques et commerciales… Le risque d’échec du conseil par monoculture et donc œillères est ici manifeste. L’administrateur pris individuellement n’est naturellement pour rien dans cette endogamie. En revanche, ce sont des points auxquels nous sommes sensibles chez APIA, notamment au moment de la définition d’un profil d’administrateur indépendant. Et la solution passe naturellement par une grande diversité des profils recrutés au conseil, voire par des formations ou des expériences délibérément décalées recherchées hors des métiers traditionnels de l’entreprise.

Pour ce second type d’échec, il existe heureusement des solutions immédiates et à portée de main : retenons l’importance de compétences variées portées par des femmes et des hommes d’horizons très diversifiés, et qui sauront trouver le juste milieu en termes de questionnement. Cette dernière compétence nous amène à évoquer un dernier type d’échec, lui franchement comportemental :

Le comportemental pris en défaut : Les carences évoquées ici tiennent avant tout à l’opinion que peuvent avoir les administrateurs de leur rôle dans la gouvernance de l’entreprise, dans le type de relation qu’ils développent avec leur environnement, et dans leur capacité à se remettre en cause, à faire preuve d’indépendance, de discernement et d’humilité. Nous parlons avant tout ici d’intelligence de situation. Retenons ici aussi trois phénomènes :

Méfiance et suspicion : le premier travers est certainement de placer les relations entre dirigeant et conseil, voire entre membres du conseil, sous le signe de la méfiance, du rapport de force, et de la suspicion d’intentions cachées. Autant il peut être extrêmement bénéfique de challenger positivement le dirigeant, autant une opposition larvée, systématique, campant sur des présomptions d’incompétence et d’inefficacité peut avoir des conséquences destructrices. Il appartient ici clairement au conseil, surtout nouvellement constitué (nouveau tour de table, par exemple avec un fonds d’investissement, transition générationnelle, intégration d’administrateurs indépendants) de créer les conditions d’une relation de confiance, de respect mutuel, voire de connivence implicite ou explicite. Un conseil qui ne se réunirait pas sous ces auspices serait essentiellement générateur de tensions, d’inefficacité et d’échec. Inutile d’ajouter que ces points sont inscrits très hauts dans nos préoccupations APIA d’administrateur indépendant, et que si ces conditions de fonctionnement ne devaient pas être durablement réunies, nous n’hésiterions pas à remettre en cause notre mandat, de notre propre chef.

Suivisme et couardise, des comportements certes humains, mais non de mise dans un conseil : ce deuxième aspect concerne les réactions que peut susciter une personnalité dominante, en tant que dirigeant comme en tant qu’administrateur d’ailleurs. La probabilité est alors forte que les questionnements complémentaires, voire les objections, ne soient simplement pas exprimés, et que le conseil perde ici aussi en efficacité. La tentation peut alors être grande chez la personnalité dominante de jouer de sa position pour imposer des décisions non discutées, et pour ses collègues de se réfugier dans une commodité facile d’acquiescement tacite. Les administrateurs à la frange de leur domaine de compétence, peu assurés en expression orale ou privilégiant leur confort personnel ne leur seront ici d’aucune aide. La solution, proposée là aussi dans cette autoformation APIA évoquée précédemment, consiste pour la personnalité dominante soucieuse d’une exemplarité des débats (ou à l’administrateur indépendant qui partage la même préoccupation), à réserver sa position et à suggérer à un de ses collègues de jouer l’avocat du diable, ce qui a logiquement pour conséquence d’ouvrir et d’animer le débat. Un enseignement précieux qui fait également partie des avantages des formations régulières et répétées dispensées par APIA.

Absence de remise en cause. Reconnaître l’inanité d’une décision est compliqué, surtout quand on a contribué à ce qu’elle soit prise. La simple erreur d’appréciation initiale peut ainsi se transformer en maintien au-delà des limites du supportable d’une décision erronée, et en échec aux conséquences potentiellement lourdes pour l’entreprise. Un conseil peut donc se retrouver face à la décision de « se renier » à quelques séances d’intervalle, et de reconnaître tacitement qu’il s’est trompé. L’échec peut ici être triple : dans sa forme bénigne, il consiste à faire la part du feu et abandonner dès constatation de l’erreur la réalisation de l’action. Dans une forme plus complexe, les outils de suivi de la décision n’ont pas été mis en place par le conseil, ou n’ont pas été analysés, et la prise de décision d’arrêter s’en trouvera retardée. Dans sa forme la plus grave, le refus de l’évidence, le déni, la prise en compte de facteurs idéologiques, émotionnels ou personnels feront s’enferrer l’entreprise au-delà du raisonnable. Là aussi, le rôle de l’administrateur indépendant peut être essentiel pour pointer le sujet, dépassionner les débats, faire preuve d’humilité et conserver en tête l’objectif ultime de pérennité de la personne morale de l’entreprise.

A conserver ici en mémoire : au-delà des décisions apparemment rationnelles, la manière de les amener, et de gérer les relations humaines dans cet écosystème fragile qu’est le conseil, joue un rôle également essentiel. Au-delà des savoir-faire, nous pratiquons avec assiduité chez APIA ce savoir-être qui permet au conseil de dépasser les blocages comportementaux.

Conclusion

On le voit, les causes d’échec au sein du conseil sont potentiellement nombreuses, la plupart du temps cumulatives, mais heureusement également la plupart du temps évitables. Elles exigent de l’administrateur indépendant d’être une personne complète, disposant de compétences techniques et humaines accomplies, de savoir-faire et savoir-être. Dans cette position, l’administrateur indépendant, moins intriqué dans le quotidien de l’entreprise, dans des problématiques de postures, et ne dépendant pas de son siège d’administrateur pour sa subsistance, dispose de nombreux atouts, non seulement pour appliquer les différentes parades aux échecs évoqués, mais aussi pour en diffuser les pratiques au sein du conseil. Sa formation continue, les échanges réguliers avec ses pairs, les mises en situation de cas concrets et vécus, la recherche des solutions les plus adaptées, lui donnent toutes les bases indispensables pour éviter la plupart des situations évoquées plus haut. Gageons donc que les échecs précédents qu’il lui aura été donné d’observer ou qu’il aura lui-même vécus lui donneront une sensibilité toute particulière à ces aspects, et lui permettront de les contrer avec efficacité. C’est en tout cas ce à quoi nous travaillons avec passion au quotidien ! Emmanuel Bonnet

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