Moi, dirigeant, un fonds d’investissement au capital de mon entreprise, à mon conseil ; ma gouvernance, mes administrateurs

Introduction

En PME patrimoniale, le fonds d’investissement reste un interlocuteur moins connu que le banquier ou l’expert-comptable :

  • Les opérations concernent souvent des premières ouvertures du capital à un tiers extérieur à la famille détentrice, ce qui renforce la dimension d’inconnu, de découverte, d’éventuels quiproquos … et d’opportunités.
  • Si introduire un fonds dans son tour de table n’est pas un acte de gestion banal, il devient fréquent : +/- 5% des entreprises de plus de 3M€ de CA accueillent chaque année et pour une durée de 5 à 10 ans un fonds dans leur tour de table.
  • L’arrivée d’un fonds d’investissement dans l’actionnariat d’une PME reste souvent vécue comme une révolution culturelle de grande ampleur. Parfois considérée avec méfiance, sous forme de contrainte, le dirigeant pourra même renoncer à franchir le pas, prenant là-aussi une décision lourde de conséquences.

Sans minimiser les risques inhérents à l’accueil d’un fonds d’investissement dans votre tour de table, l’objectif de cet article est de les relativiser, de voir tout le parti positif que vous pouvez en tirer, et surtout ce qu’il convient de mettre en œuvre, parfois au préalable, en termes notamment de bonnes pratiques et de gouvernance, pour sécuriser à la fois la famille détentrice et l’entreprise. Nous serons ainsi amenés à souligner le rôle de l’administrateur indépendant, avant, pendant, et au moment de la sortie du fonds.

Le fonds arrive souvent dans un contexte de rupture ou d’évolution, subie ou provoquée

Il existe d’excellentes raisons d’accueillir un fonds en PME : dans près de 60% des cas, il s’agit d’accompagner une transmission (donc changement de dirigeant, peut-être de nouvelles orientations, et aide à la constitution du tour de table du repreneur), et dans près de 30%, le fonds intervient dans le cadre d’un projet de développement qui nécessite des capitaux importants (croissance externe par exemple, un projet d’envergure qui va certainement impacter fortement le mode de fonctionnement de l’entreprise). Les autres cas (OBO Owner Buying Out)  et les situations de retournement (+/-1%) sont plus rares en PME.

A noter que dans bien des cas, le recours à un fonds est un des rares moyens de concrétiser les ambitions du dirigeant dans la conduite d’un projet structurant ou de grande envergure pour son entreprise. Une reprise d’entreprise comme un projet de développement sont rarement autofinancés, quasiment jamais financés exclusivement par endettement bancaire ou par un apport en capital des actionnaires en place et le recours au marché boursier est fermé aux PME.

L’appel aux ressources d’un fonds est donc bien souvent la seule solution pour garantir le développement et la pérennité de l’entreprise. Les alternatives s’appellent ici alliance entre pairs, concurrents, fournisseurs, avec également leur lot d’opportunités et d’incertitudes. En tout état de cause, ne pas prendre de décision signifie souvent pour le dirigeant se maintenir plus longtemps que souhaité, avec une envie entrepreneuriale et des réflexes qui s’amenuisent, ou louper le coche de la taille critique, du marché porteur ou de l’innovation, et donc perdre relativement en taille, en présence, voire en pertinence sur son marché, et à terme, disparaître. La décision est donc tout sauf anodine.

Un fonds d’investissement vous apporte certes des capitaux, mais ce n’est que la partie émergée de son action attendue

Tous les fonds sont apporteurs de capitaux, c’est certes un critère important, mais cela ne devrait pas être l’élément unique de différenciation, surtout dans un contexte APIA où nous jetons un regard spécifique sur la gouvernance. A ce sujet :

Le fonds apporte du capital immédiatement, selon les situations, il doit aussi être en mesure de le maintenir plus longtemps que les +/- 7 années « classiques », ou présenter une capacité à compléter son apport initial demain aussi. C’est notamment le cas des projets un peu tendus en termes de planning, « à étages », ou encore avec de grosses incertitudes sur la période de retour sur investissements. Un point à vérifier, donc.

Plus important pour le sujet qui nous intéresse, le fonds amène une nouvelle gouvernance. Ce sont :

  • Des règles (le pacte d’associés), qui déterminent les conditions de levée d’option, la sortie des associés, mais en ce qui concerne la gestion courante, les droits et obligations des associés et des dirigeants opérationnels (embauches, investissements, rémunérations, information préalable, reporting et comptes-rendus, etc.). Ici, il y a certainement un certain nombre de sujets dont la discussion est peu courante si le dirigeant décidait auparavant seul.
  • Des hommes, ceux qui seront vos interlocuteurs quotidiens et lors des conseils. Il y a lieu ici de se faire une idée des compétences dont vous avez besoin, du niveau souhaité, et surtout de l’intuitu personae que vous pourrez développer avec eux. Accordez ici une importance toute particulière à la capacité de vos interlocuteurs à gérer des situations de crise (quelles expériences comparables ?) … et à leur longévité dans le fonds.
  • Un nouveau rapport au temps : les conseils sont faits de récurrences des supports utilisés, de décisions, de planning d’exécution, de suivis de réalisations, de mise en évidence des écarts, autant d’éléments qui sont souvent traités de manière plus flexible en PME. C’est certes en rapport avec les objectifs de rentabilité et la durée de détention des parts de l’entreprise par le fonds, mais cela a un impact quotidien extrêmement marquant en PME.

De nouveaux outils de gestion, de nouvelles méthodes de management : le plan stratégique sur 3 à 5 ans (ambitions ressources, moyens, temps, concurrence, innovation) ainsi que la procédure budgétaire structurée font souvent leur apparition en PME avec le fonds. Il en va de même de formulaires de reporting parfois détaillés, et dont on imagine qu’ils ne sont pas que financiers (analyses de marges, de mix produits, écarts volumes, prix, etc.). Sans oublier des décisions parfois dures : recadrage, changement d’équipe, etc.

Tous ces éléments peuvent être vécus comme « hors sol » et du pur domaine du conseil d’administration. Ce serait une grave erreur. Ils représentent certes des contraintes, mais ce serait multiplier les contraintes que de réduire leur utilisation au seul conseil, et en plus priver l’entreprise d’un effet de levier certain en termes de diffusion des outils de gestion, des bonnes pratiques de management et de gouvernance, d’appropriation et de partage des objectifs stratégiques, et enfin d’unicité de la mesure de la performance.

Face à toutes ces nouveautés, la question essentielle en tant que dirigeant nous semble être celle de la meilleure préparation et organisation de ma société à l’introduction et l’appropriation de l’ensemble de ces nouveautés, afin d’en tirer le meilleur parti avant, pendant, et après la présence du fonds d’investissement dans l’entreprise.

Le défi : tirer le meilleur parti de l’arrivée et de la présence d’un fonds d’investissement à travers le rôle de l’administrateur indépendant

Sans surprise, nous avons tendance à considérer la présence d’administrateurs indépendants au sein du conseil avant l’arrivée du fonds d’investissement comme un préalable hautement recommandable, et comme une jolie manière de préparer l’arrivée du fonds :

  • L’administrateur indépendant aura probablement déjà suggéré l’introduction d’un certain nombre de pratiques de gouvernance et de structuration / diffusion de l’information qui iront dans le sens de ce qui sera réclamé par le fonds d’investissement. Il aura également familiarisé le dirigeant à travailler en présence d’un tiers dans un climat de bienveillance.
  • Il sera un allié précieux pour le dirigeant au moment des discussions avec les fonds d’investissement, de leur évaluation et de la rédaction des clauses du pacte d’associés. Dans la mesure où l’intégration d’un fonds était envisagée, l’habitude de l’administrateur indépendant de travailler dans cet environnement serait d’ailleurs un critère de recrutement important.
  • Et enfin, sa seule présence vous incitera et donnera du poids à votre requête vis-à-vis du fonds de prolonger le statu quo et d’intégrer des administrateurs indépendants dans votre nouveau conseil élargi. C’est pour vous une garantie supplémentaire que le Conseil sera un véritable conseil (ni un simulacre formel, ni un strict reporting financier), et que l’intérêt social de l’entreprise y sera représenté, spécialement en période de crise. C’est également un des moyens d’éviter le face à face parfois figé entre le fonds d’investissement et un patron qui n’avait pas toujours l’habitude d’un partage du pouvoir et de l’information Cela permet de débloquer des situations qui pourraient sinon tourner à l’affrontement stérile, de trouver des voies consensuelles médianes.

Pendant toute la durée de la présence du fonds d’investissement au conseil, l’administrateur indépendant contribuera à la bonne marche du conseil :

  • En en faisant un véritable outil de gouvernance, en en définissant avec soin le périmètre humain, en en précisant les champs de compétence (revue, prospective, questionnements stratégiques…), ainsi que la fréquence (plusieurs fois par an, possibilité de conseils extraordinaires en cas de besoin, souplesse et disponibilité des administrateurs pour répondre aux questions du dirigeant dans une posture d’alter ego non opérationnel). Par-delà les ruptures avec la situation antérieure, les changements culturels et éventuelles incompréhensions initiales, il n’y a dans ces conditions aucune raison que le Conseil ne soit rapidement reconnu par le dirigeant comme un des outils qui lui manquait dans sa chaîne de gouvernance.
  • Au-delà de la simple activité au sein du conseil, l’administrateur indépendant peut également veiller à diffuser les bonnes pratiques du conseil vers le reste de l’entreprise : on a déjà évoqué les documents supports : compatibilité, porosité des outils de gestion, utilisés au quotidien dans l’entreprise, repris en synthèse dans les réunions du conseil. Mais cela va au-delà : Transparence, collégialité des discussions, respect des procédures prévues au pacte d’associés. Un dirigeant « plutôt solitaire » dans sa prise de décision peut ainsi, sous l’influence de son conseil, devenir plus participatif dans sa gestion quotidienne, au grand bénéfice de sa gouvernance, et de l’intérêt social de l’entreprise.
  • En situation de crise, l’administrateur indépendant sera également présent pour rappeler l’intérêt social de l’entreprise, parfois négligé entre les exigences de rentabilité du fonds et le double rôle du dirigeant actionnaire.

Au moment de la sortie du fonds d’investissement : là aussi situation nouvelle pour une entreprise patrimoniale : la présence de la famille dans le capital se compte souvent en générations, et un des actionnaires, le fonds d’investissement, n’y est entré qu’avec la volonté affichée d’en sortir au bout d’une période limitée d’environ 7 ans. C’est dire combien il convient d’être conscient de cette différence d’alignement, de temporalité, d’en anticiper les effets, et de préparer soigneusement la sortie du fonds. L’administrateur indépendant peut largement faciliter la transition à ce moment crucial dans la vie de l’entreprise :

  • Le fonds sortira au moment qu’il jugera opportun, et selon des modalités généralement fixées dans le pacte d’actionnaire. Elles peuvent en revanche ne pas correspondre au moment idéal pour l’entreprise, et si les modalités de valorisation sont en principe fixées, le profil du successeur ne l’est en général pas.
  • L’administrateur indépendant peut ici jouer sur trois registres : anticiper un besoin de liquidité au moment de la sortie du fonds, et contribuer à lui trouver des solutions (baisse du pourcentage de détention du successeur par rachat de parts par les détenteurs historiques, discussions très en amont avec des candidats potentiels à la succession, rappel de l’intérêt social de l’entreprise.
  • Il contribuera à mettre en garde contre des solutions qui feraient rentrer un nouveau partenaire non souhaité (concurrent, client…) ou dont les objectifs ne seraient pas alignés avec ceux des actionnaires historiques.

Conclusion

Nous avons identifié le recours à un fonds d’investissement comme un des moyens de répondre à certains défis de l’entreprise, transmission, développement. Mais nous avons aussi vu combien le rôle bien compris d’un fonds pouvait profondément et durablement impacter sur la gouvernance de l’entreprise, en transformant une gestion parfois très solitaire du dirigeant en un modèle plus ouvert, plus participatif, et certainement plus résilient. Une telle évolution suppose des qualités rares à la fois chez le fonds et chez le dirigeant, qualités d’ouverture, d’ambition, de remises en cause. Nous avons également vu combien l’administrateur indépendant peut contribuer à rendre apaisée la venue d’un fonds d’investissement, ses interactions dans l’entreprise tout au long de sa présence, et enfin sa sortie. Le rôle de « vigie » de l’administrateur indépendant prend ici tout son sens, dans le contexte bien particulier du travail avec un fonds d’investissement.

Emmanuel Bonnet

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